Story #06
[FR] LE DERVICHE TURKMEN
Dans une quête des derniers nomades et des groupes ethniques de Perse et d’Asie Centrale, je suis parti pendant 16 mois avec mon van de la France à l’Afghanistan. Au Turkménistan, j'ai croisé un derviche, ascète de la religion musulmane.
LES PREMIERS DOUTES
Plus de 5 mois sans réels soucis. Mon van marche à merveille. L’aménagement intérieur que j’ai fait installer me convient parfaitement. J’ai réussi à être totalement autonome depuis le début de mon voyage. Et cette indépendance m’a permis de me déplacer facilement pour suivre notamment des groupes nomades que j’avais prévu de photographier en Iran. Ces premiers milliers de kilomètres m’ont donné une certaine confiance, mais de gros cailloux encombrent la route... Tout d’un coup, j’apprends que la pierre est plus dure que le métal ! Je repartirai alors d’Achgabat, capitale du Turkménistan, avec deux cicatrices de 17 cm sur le carter. Entre temps, l’hiver est arrivé plus vite que prévu. Les premiers doutes aussi. Il faut traverser le désert du Karakoum en un jour sans s’arrêter. Pas de station d’essence, mais des dunes de sable et des mirages. 600 kilomètres en ligne droite et de temps en temps un dromadaire qui traverse la piste. Au bout, les mausolées de Kunya-Urgench, portes d’entrée du Karakalpakstan ; région oubliée d’Asie Centrale où tout semble abandonné à un destin aussi tragique que celui de la mer d’Aral.
LA RENCONTRE
Dans cette ambiance de fin du monde, j’essaie de reprendre des forces dans un petit café sombre qui sert le plov, plat traditionnel de la région, dans des assiettes en porcelaine blanc et bleu. Je paie l’addition et alors que je me lève, décidé à passer la frontière dans l’heure, un homme coiffé d’une toque traditionnelle en laine d’astrakan fait son entrée dans la pièce. Je ne rêve pas, c’est bien un derviche. Ces ascètes soufis de l’Islam ont quasiment disparu et c’est la première fois que j’en vois un de mes propres yeux. Les derviches vivent dans une pauvreté et une austérité extrêmes. Semblables aux sadhus de la religion hindouiste, ils vivent de la mendicité.
LA PHOTO
Celui qui vient de s’asseoir à une table non loin de moi se fait servir un thé. Je n’hésite pas à le saluer et m’assois en face de lui. Impressionné, j’essaie de me présenter comme je peux. Avec les trois mots de turc que je connais, je lui fais comprendre que j’aimerais le prendre en photo. Il sourit calmement et m’invite à boire un thé d’abord. La pièce est trop sombre pour que je fasse quoi que ce soit, mais il accepte de me suivre hors du café. Alors qu’il marche devant moi, je déclenche les premières photos, car il passe devant un mur jaune d’une intensité incroyable. En fait, j’ai pris ces photos pour tester des réglages. Il a ensuite posé pour moi, pendant quelques minutes. Je n’ai gardé finalement que cette première photo, volée en quelques secondes. Car parfois c’est dans la précipitation que l’on obtient les meilleures surprises. Par souci de qualité, j’essaie de ne jamais dépasser 320 Iso. Et avec une ouverture à f/4, j’évite de rater la mise au point. Le reste n’est que le fruit du hasard, je dois l’avouer... Comme je dois avouer que je ne paie jamais pour photographier quelqu’un. Mais en rejoignant notre table pour finir le thé, j’ai glissé un billet sous sa coupelle. Une fois n’est pas coutume, mais c’était ma façon de contribuer au chemin qu’il a entrepris.
Texte et photo publiés dans le magazine le Monde De La Photo #86 en Mai 2016
Extrait du livre Ashayer - nomades en persan - disponible en librairie et sur amudarya.com
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[EN] THE TURKMEN DERVISH
In a quest for the last nomads and ethnic groups from Persia and Central Asia, I left for 16 months with my van from France to Afghanistan. In Turkmenistan, I met a dervish, an ascetic of the Muslim religion.
THE FIRST DOUBTS
More than 5 months without any real worries. My van works perfectly. The interior design I had installed is perfect for me. I have managed to be totally autonomous since the beginning of my journey. And this independence allowed me to travel easily to follow nomadic groups that I had planned to photograph in Iran. These first thousands of kilometers have given me a certain confidence, but big stones block the road... Suddenly I learn that stone is harder than metal! I will then leave from Ashgabat, the capital of Turkmenistan, with two 17 cm scars on the crankcase. In the meantime, winter has arrived faster than expected. The first doubts too. We must cross the Karakoum desert in one day without stopping. No gas station, but sand dunes and mirages. 600 kilometers in a straight line and from time to time a dromedary that crosses the track. At the end, the mausoleums of Kunya-Urgench, gateway to Karakalpakstan; forgotten region of Central Asia where everything seems abandoned to a destiny as tragic as that of the Aral Sea.
THE MEETING
In this end-of-the-world atmosphere, I try to regain my strength in a small dark café that serves plov, a traditional dish from the region, in white and blue porcelain plates. I pay the bill and as I get up, decided to cross the border in an hour, a man wearing a traditional astrakan wool hat enters the room. I'm not dreaming, he is a dervish. These Sufi ascetics of Islam have almost disappeared, and this is the first time I have ever seen one of them with my own eyes. Dervishes live in extreme poverty and austerity. Similar to the sadhus of the Hindu religion, they live on begging.
THE PICTURE
The person who has just sat down at a table not far from me gets a cup of tea. I do not hesitate to greet him and sit in front of him. Impressed, I try to introduce myself as best I can. With the three words of Turkish I know, I make him understand that I would like to take a picture of him. He smiles calmly and invites me to drink tea first. The room is too dark for me to do anything, but he agrees to follow me out of the coffee. As he walks in front of me, I trigger the first pictures, because he passes in front of a yellow wall of incredible intensity. Actually, I took these pictures to test some adjustments. He then posed for me for a few minutes. I finally only kept this first photo, stolen in a few seconds. Because sometimes it is in haste that you get the best surprises. For the sake of quality, I try to never exceed 320 Iso. And with an f/4 aperture, I don't miss the focus. The rest is just the result of chance, I have to admit it... Since I must admit that I never pay to photograph someone. But when I joined our table to finish the tea, I slipped a ticket under his cup. Once is not customary, but it was my way of contributing to the path he undertook.
Text and photo published in the magazine Le Monde De La Photo #86 in May 2016
Extract from the book Ashayer - nomads in Persian - available in bookshop and on amudarya.com (Worldwide Shipping)
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