STORY #13
[FR] LA FRONTIÈRE INCONTRÔLABLE
Dans une quête des derniers nomades et des groupes ethniques de Perse et d’Asie Centrale, je suis parti pendant 16 mois avec mon van de la France à l’Afghanistan. J'ai longé la frontière afghane à la rencontre des Ismaéliens du Pamir.
LES ISMAELIENS
Ma première année sur la route de l’Orient vient de s’achever et j’entame dans les montagnes du Pamir le treizième mois de cette expédition. La route défoncée, à l’abandon depuis l’ère soviétique, transforme le voyage en aventure. Après avoir accédé à l’indépendance en 1991, le Tadjikistan s’est soudain appauvri. Ses habitants ont besoin désormais de l’argent envoyé par la diaspora travaillant à l’étranger. Ils peuvent compter aussi sur le soutien de l’Aga Khan, chef des chiites ismaéliens, culte majoritaire dans le Pamir. Via sa fondation, celui-ci s’implique économiquement, socialement et culturellement dans la région depuis 1967. Une grande partie de son peuple lui voue un culte et il apparait comme le grand sauveur des ismaéliens, longtemps persécutés à travers le monde. Sans lui et sa fortune colossale, l’économie de ce territoire isolé serait dans un état encore plus désastreux. Aux confins de ce pays, quand on approche de l’Afghanistan, la tension monte d’un cran et la frontière qui sépare les deux pays est aussi belle que dangereuse.
LA FRONTIÈRE
Les conditions climatiques ne permettent guère qu’une maigre récolte annuelle d’orge, de blé et de pommes de terre. D’autres cultures, moins légales, prolifèrent également : le pavot, l’opium et le chanvre. Ces espèces végétales s’adaptent bien aux conditions arides et aux sols gelés du Pamir. De fait, depuis l’indépendance, le commerce des plantes narcotiques a refait son apparition au Tadjikistan. Profitant de la porosité des frontières et de la facilité de conservation, cette activité est devenue une manne financière importante. Véritable passoire, la frontière entre l’Afghanistan et le Tadjikistan – particulièrement poreuse au niveau du Haut-Badakhchan – constitue une zone de trafic de drogue quasiment incontrôlable. Cette situation a valu à la Pamir Highway une réputation de « Route de la drogue ». Son tronçon à l’extrême sud-est est pourtant doté de quelques postes de contrôle que je passe régulièrement avec mon van, mais j’imagine mal qu’ils puissent faire face aux réseaux de passeurs. Le long de la frontière afghane, ces derniers peuvent circuler sur plus de 700 kilomètres avec comme seule difficulté la rivière Piandj, qui délimite les deux pays et dépasse rarement le mètre de profondeur. Les trafiquants la franchissent souvent à pied et c’est à six heures, un matin, que je fais semblant de ne rien voir quand un petit zodiac rempli de sacs en toile de jute passe d’une rive à l’autre...
LA PHOTO
Il est donc bien évident qu’il est strictement interdit de s’approcher de la rivière et encore moins de traverser la frontière à l’endroit où j’ai pris la photo, au risque d’être pris pour un trafiquant. Cette image est comme une fenêtre sur un autre monde et un autre temps : de mon côté la route a un revêtement en béton et elle est empruntée chaque jour par des voitures plus ou moins modernes. De l’autre côté, c’est un sentier en terre sur lequel passent encore des caravanes de marchands à dos de chameaux. À la tombée de la nuit, je m’arrête ébloui par la beauté du lieu. Un troupeau de yaks est en train de paître sur un versant abrupt de la montagne. Alors que je m’en sers très rarement, il me faut absolument mon téléobjectif, un 70-200 mm pour fixer ce paysage et cette lumière qui décline à chaque seconde. Les conditions de prise de vue sont compliquées surtout après avoir fermé complètement le diaphragme. Le stabilisateur m’aide à avoir une image nette, et j’ai pu ainsi garder intact le souvenir de ce lieu, parmi les plus beaux de mon périple.
Texte et photo publiés dans le magazine le Monde De La Photo #93 en Février 2017
Extrait du livre Ashayer - nomades en persan - disponible en librairie et sur amudarya.com
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[EN] THE UNCONTROLLABLE border
In a quest for the last nomads and ethnic groups from Persia and Central Asia, I left for 16 months with my van from France to Afghanistan. I gone along the Afghan border to meet the Ismaelians of Pamir.
THE ISMAELIAN
My first year on the road to the Orient has just ended and I am starting the thirteenth month of this expedition in the Pamir Mountains. The crushed road, abandoned since the Soviet era, transforms travel into adventure. After independence in 1991, Tajikistan suddenly became impoverished. Its inhabitants now need the money sent by the diaspora working abroad. They can also count on the support of the Aga Khan, leader of the Ismaili Shiites, the majority religion in Pamir. Through its foundation, it has been involved economically, socially and culturally in the region since 1967. A large part of his people worshiped him and he appeared as the great saviour of the Ismaelians, long persecuted throughout the world. Without him and his colossal fortune, the economy of this isolated territory would be in an even more disastrous state. On the borders of this country, as we approach Afghanistan, the tension rises a notch and the border between the two countries is as beautiful as it is dangerous.
THE BORDER
The weather conditions only allow for a meagre annual harvest of barley, wheat and potatoes. Other less legal crops also proliferate: poppy, opium and hemp. These plant species adapt well to the arid conditions and frozen soils of Pamir. Indeed, since independence, the trade in narcotic plants has re-emerged in Tajikistan. Taking advantage of the porous borders and easy preservation, this activity has become an important financial windfall. The border between Afghanistan and Tajikistan - particularly porous in Nagorno-Badakhchan - is an almost uncontrollable area of drug trafficking. This situation has earned the Pamir Highway a reputation as the "Drug Route". Its section in the extreme south-east however equipped with some checkpoints that I regularly pass with my van, but I can hardly imagine that they can face the networks of smugglers. Along the Afghan border, they can circulate over more than 700 kilometres, with the only difficulty being the Piandj river, which delimits the two countries and rarely exceeds the meter depth. The traffickers often cross it on foot and it is at six o' clock in the morning that I pretend not to see anything when a small zodiac filled with jute bags passes from one bank to the other...
THE PICTURE
It is therefore quite obvious that it is strictly forbidden to approach the river, let alone cross the border where I photographed it, at the risk of being taken as a trafficker. This image is like a window on another world and another time: on my side the road has a concrete surface and it is used every day by more or less modern cars. On the other side, it is a dirt path on which caravans of camel-mounted merchants still pass. At nightfall, I stop dazzled by the beauty of the place. A herd of yaks is grazing on a steep mountainside. While I use it very rarely, I absolutely need my telephoto lens, a 70-200 mm to fix this landscape and this light that declines every second. Shooting conditions are complicated, especially after the diaphragm has been completely closed. The stabilizer helps me to have a sharp image, and I was able to keep intact the memory of this place, among the most beautiful of my journey.
Text and photo published in the magazine Le Monde De La Photo #93 in February 2017
Extract from the book Ashayer - nomads in Persian - available in bookshop and on amudarya.com (Worldwide Shipping)
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